[...] page 650 (c'est moi qui ai souligné la phrase que j'ai
trouvée importante).
Si l'analyse se contentait de remettre sur pied, ici et là,
tel prêtre névrosé ou telle religieuse en détresse,
on pourrait la tolérer comme une méthode de traitement
un peu particulière valable pour des originaux. Mais voilà
qu'elle réclame une modification de la société
et de l'Église, en vue de mettre fin à une certaine forme
de direction extrinsèque et d'aliénation. Voilà
qu'elle réclame qu'on cesse de faire fonctionner la religion
comme un simple surmoi pour imposer des idées valables en elles-mêmes
et pour elles-mêmes. Elle remet dès lors en question l'assurance
dont font preuve ceux qui ont fui leur insécurité ontologique
pour le confort d'une fonction leur assurant calme et sécurité.
Elle lance ainsi inévitablement un défi à tous
ceux qui se réfugient dans un service apostolique pour se dispenser
d'être eux-mêmes. Elle provoque ainsi d'elle-même
la réaction de tous ceux qui ont dû monter sur les tréteaux
du pouvoir pour échapper à l'impression que, personnes
" ordinaires ", elles ne seraient plus rien du tout.
L'Eglise devait cesser de jouer à l'Etat (au sens où
Nietzsche l'entendait") avec ses clercs en les considérant
comme des fonctionnaires de la Cour de Dieu sur terre. Au lieu de
les pousser vers une fonction, elle devrait apprendre à ceux
qui sont dans ses rangs la " petite pauvreté " qui
laisse à chacun sa particularité en lui faisant découvrir
par là à quel point il est nécessaire. Elle
devrait pour cela recourir à des méthodes de formation
qui, en intensifiant la découverte de soi et la maturation
personnelle, correspondraient quelque peu à ce qu'en formation
psychanalytique on appelle aujourd'hui autoanalyse, une autoanalyse
qui peut s'étaler sur des années. Il faut avant tout
cesser de former des pasteurs qui doivent sacrifier leur âme
personnelle au lieu d'apprendre à la connaître; et des
moines ou des religieuses qui doivent servir leur ordre, au lieu de
voir d'abord si les choses sont bien en ordre au fond d'eux-mêmes.
C'est là le point décisif sur lequel l'Église
catholique doit changer, à moins de devoir rapidement découvrir
qu'elle est dépassée. Dans sa forme actuelle, elle représente
déjà un type de religion qui, de par sa structure sociale,
relève plus du Moyen Age que des temps modernes et, de par
sa mentalité ascétique et sacrificielle, paraît
plus archaïque que chrétienne. C'est par l'attitude qu'elle
adopte aujourd'hui à l'égard de ses clercs que l'Église
catholique décidera de son sort : sera-t-elle un ferment dans
la pâte de l'Histoire (Mt 13, 33) ou un airain qui sonne et
une cymbale qui retentit (1 Co 13, 1) ? [...]